un modele pour les gouverner tous.tes
Domination envers tout ce qui est anormal, donc littéralement hors norme : les pauvres, les non-Blancs, les femmes, les trans, les lesbiennes, les gays, les enfants, les personnes handicapées, les vieux et vieilles, les anarchistes, les pommes un peu tordues, les touffes d’herbe entre deux pavés… Bon, dans toute cette pagaille, il y a pléthore de choix, alors que choisir pour écrire ? Eh bien tout. Toutes les formes de domination. Je parle là d’une domination oppressive non-consentie, souvent incorporée, diffuse et institutionnalisée plus que flagrante. Proudhon écrit : « être gouverné, c’est être à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé ». La notion de domination induit forcément le binôme dominant.e/dominé.e, et de fait, un rapport de hiérarchie. Dans le monde de demain, j’espère que la hiérarchie sera vraiment l’anagramme de l’hier-à-chier.
Une domination entraîne une autre
Le thème de la domination, sous ses diverses déclinaisons, a agité la recherche en sciences sociales et nous pouvons retenir le concept d’écologie sociale de Murray Bookchin. Ce dernier estime que « l’obligation faite à l’humain de dominer la nature découle directement de la domination de l’humain sur l’humain ». De fait, on ne pourrait pas résoudre les problèmes écologiques sans entamer un changement politique et social profond. Croire au capitalisme écologique ce serait comme manger une glace au kebab : ça ne va pas ensemble. L’exploitation de la nature est intrinsèque au fonctionnement social actuel qui est fondé sur des rapports de domination, et où le dominé.e n’est qu’une chose à s’accaparer sans vergogne. Ce fonctionnement, c’est celui de tout ce qui est associé au « civilisé » : l’Etat, les multinationales, les banquier.es… En fait, l’idée même de civilisation est construite sur le dos voûté du prolétariat.
La civilisation berceau de l’humanité ?
Ou berceau des dominations institutionnalisées ? Chez les premières civilisations du (délicieux) croissant fertile, il existait des maisons de prisonniers de guerre et d’esclaves, qui étaient répertoriés selon leurs compétences et mis sur le marché. Ça ne vous rappelle rien ? Le prolétariat corvéable et remplaçable épargne les sujets de l’Etat à réaliser les travaux les plus dégradants, évite les insurrections qu’un tel labeur aurait suscité si c’était les sujets de l’Etat qui devaient le faire… et ça, ça ne vous rappelle rien ? De plus la civilisation aujourd’hui plongée dans le capitalisme néo-libéral, est dans l’illusion d’un monde aux ressources infinies disponibles à la merci d’une croissance infinie. Cela entraîne l’épuisement des sols, l’envasement, les inondations, les épidémies, les incendies… C’était déjà le cas des premières civilisations, que les populations de chasseuses-cueilleurs refusaient de rejoindre. Dans ses recherches, James C. Scott propose des pistes de réflexion pour comprendre comment notre espèce Homo Sapiens est si rapidement arrivée à vivre selon un modèle ultra-répandu de domestication de son environnement et de ses pairs. Comment s’est-on construit de sorte à véhiculer et accepter des formes de domination tellement incorporées qu’on peine à s’en défaire ? Et surtout : comment déconstruire cela ? Bon, d’autres formes d’inégalités peuvent exister dans les sociétés non-étatiques, il n’y a pas l’enfer vs le paradis, il y a surtout à réfléchir et à discuter.
« Etat de confusion générale »
L’humanité a existé bien en dehors des murailles glorieusement érigées par les « civilisés ». Et cette humanité qui ne connaissait pas de mur ni d’impôt sur le grain n’était pas une tribu de cruels velus poussant des cris barbares. Ça, c’est le discours civilisationnel dominant qui décrédibilise tout ce qui ne vit pas sous son joug. C’est le récit du progrès, fondé sur la maîtrise (par les dominants) des ressources (des dominés). La légende dit que l’agriculture serait venue sauver les humains de leurs modes de vie primitifs, eux qui survivaient au jour le jour de chasse et de cueillette en grognant « grhraaar » pour appeler leurs collègues, déjà difficiles à distinguer à cause de leur profusion de poils emmêlés et de leur tenue identique motif léopard. Les termes sauvages, primitifs et barbares ont été inventés pour stigmatiser les populations qui n’étaient pas encore les sujets serviles de l’Etat. Tout comme anarchistes aujourd’hui, si si, cherchez « anarchie » dans le dico larousse : « État de trouble, de désordre dû à l’absence d’autorité politique, à la carence des lois. » ou encore « Etat de confusion générale ». Ça donne envie !
Herbes folles
Pour désigner les mauvaises herbes, celles qui s’emberlificotent dans les monocultures si carrées. En parlant de la folie on pourrait aborder le sujet du validisme, en discuter comme forme de domination. Il y aurait mille sujets à aborder (hélas) et je vous propose d’étaler cela sur une tartine de bière à déguster à plusieurs dans un bar plutôt que sur une page. Finalement chaque inégalité est le trou d’un maillon de la chaîne de dominations forgée par la même attitude possessive et exploiteuse, le même regard, le même modèle. C’est s’accaparer de l’environnement comme un dû, l’écraser, et faire de même pour toutes les minorités humaines, qui ne sont pas forcément des minorités en nombre, mais dans la manière dont elles sont traitées par le groupe dominant. Chaque forme de domination n’est donc pas cloisonnée et indépendante des autres, il y a une convergence des causes à travers chaque lutte, d’où la nécessité d’une convergence des luttes dans une perspective anarcho-libertaire. Soyons les mauvaises herbes bienveillantes d’un système qui se suicide et faisons touffe. Osmosons ! Soyons le renouveau indomestiqué, insoumis, sensuel, SUAVAGE.
Sources et notes
Bookchin Murray, L’écologie sociale : Penser la liberté au-delà de l’humain, version traduite éditée en 2020
Proudhon Pierre-Joseph, Idée générale de la révolution au XIXe siècle, choix d’études sur la pratique révolutionnaire et industrielle, 1851
Scott James C., Homo Domesticus, Une histoire profonde des premiers Etats, 2017
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