bolchegeek : la pop culture, c'est à nous camardes !
Et tout le pouvoir à l’imagination ! Tel est le cri qui conclut le travail que le vidéaste Benjamin Patinaud, aka le Bolchegeek, a consacré à la place de la Révolution Russe dans le dessin animé Anastasia. Car tel est l’objectif de cette chaine : montrer que la culture pop « est un très bon point d’observation du monde et des époques, dans la mesure où c’est par définition une culture largement partagée, des imaginaires communs. En tant qu’à la fois art, produits de consommation et industrie, s’y jouent beaucoup d’enjeux et de tensions du monde « . Entretien. Par Macko Dràgàn, illustrations : visuels de la page Youtube de Bolchegeek
Benjamin Patinaud a entamé sa chaîne Bolchegeek il y a 7 ans avec une vidéo sur les Animaniacs (toute notre enfance), et une autre sur le grand réalisateur pop Edgar Wright, loué soit-il, puis avec des sujets très variés, de « Princesse Disney, féminisme et T-rex », à Wall-E (« le film le plus Bolchegeek de tous les temps » selon lui), Cowboy Bebop, « Mai 68 et les Shadoks », etc., le tout avec un style formel délicieusement pop à base de collage/mash-up, d’archives, de mèmes…
« A la base, me raconte-t-il, j’emménageais dans une nouvelle ville où je ne connaissais personne. C’était un moyen de continuer en solo les délires que j’avais avec mes potes. On était en 2015, un moment où pas mal de chaînes se lançaient, notamment toute la grosse vague de vulgarisation. Je baignais là-dedans et dans d’autres contenus comme Opération Frisson de Yannick Dahan, ou ce qui se faisait à la bonne époque des vidéastes sur Jeuxvideo.com, comme Usul ou Karim Debbache. Il n’y avait pas vraiment de ligne, à part parler des trucs qui m’intéressaient, avec ma sensibilité. Ma compagne [Kate au générique, NDLR], qui faisait à la base juste la « Petite Voix », a fini par se prendre au jeu. »
Ayant été « toujours assez geek », mais aussi doté d’une formation politique qu’il dit devoir à ses années à la LCR puis au NPA, il ajoute que ces vidéos sont restées longtemps « un hobby marrant, un peu foutraque », et que la ligne éditoriale s’est construite naturellement, en expérimentant, « un peu sans s’en rendre compte » : « En 2019, on a fini par se fixer sur la forme actuelle, plus proche de l’essai vidéo, en mobilisant plus de sciences politiques, de sujets sociaux et de contextes historiques. On a un peu plus explosé à partir de là. » Avec par exemple des vidéos à succès comme « John Wick et le contrat social », qui parle Graeber, Lordon et tout ça sur fond de grosses mandales dans la bouche, et « la haine des riches », qui évoque le discours virulent qui habite des films comme les excellents Le Joker, Us, Parasite et À Couteaux tirés.
Quand je le questionne sur le côté potentiellement émancipateur de cette culture pop, Benjamin répond cependant qu’il « ne croit pas que ça ait quelque chose d’émancipateur en soi. En revanche, je pense que c’est un très bon point d’observation du monde et des époques, dans la mesure où c’est par définition une culture largement partagée, des imaginaires communs, où se jouent beaucoup d’enjeux et de tensions du monde. C’est à la fois le produit de costards-cravates qui traitent les produits culturels comme des bidons de lessive et de ces travailleurs, ces artisans de la culture, avec plein d’autres réalités et de contradictions ». Donc : « Pour une analyse matérialiste, c’est foisonnant. »
UNE POP CULTURE QUI VA DES CONTES À PIF GADGET
« Les cultures populaires, me dit Benjamin, pour nous c’est aussi les guinguettes, les contes du folklore, Noël, le Monopoly ou Pif Gadget (pour citer des trucs qu’on a fait en vidéo). Tout ça s’interpénètre dans une problématique très large. Pour le meilleur et pour le pire, c’est un commun. Donc ça s’investit ».
Mais toute une partie des progressistes rechigne encore à le faire, ce qui le saoule : « Le snobisme chez des conservateurs ou des réacs, je m’en fous, c’est dans leur ADN. Par contre, le snobisme à gauche m’a toujours gavé. Ça a donné un très gros problème de déconnexion culturelle entre une partie de la gauche et le camp social qui est censé être le leur. En plus ça la rend chiante et la fait se replier sur des codes identitaires. J’ai l’impression que ça bouge un peu et ça me fait marrer de voir des intellos de gauche découvrir que genre les X-Men c’est politique et ça l’a toujours été. Quand ils vont apprendre que League of Legends ou Naruto ou ce que vous voulez c’est le cas aussi, ils vont voir flou, mais on progresse ». Et d’ajouter : « Des fois sur la chaîne, on me sort l’inspiration de Gramsci. Faudrait que je le lise pour de vrai un jour ! Mais c’est vrai que je suis convaincu qu’il faut aller sur le terrain de l’hégémonie culturelle. »
Parlant de ce pan de la culture faite par et pour les prolos, il disserte longuement sur le cas du grand Alan Moore, auteur bien anar’ ayant grandi dans un milieu populaire auquel il est resté toujours fidèle, au sujet duquel il a consacré une vidéo titrée « le révolutionnaire du comic book » (une vidéo dont il n’est « pas très content » dit-il, mais que je vous conseille cependant). Car ce bon vieux Moore, c’est dit-il « une de mes figures tutélaires avec des types comme Miyazaki, à qui on a consacré une vidéo que je trouve plus aboutie » : « c’est un prolo anglais qui lisait des trucs de prolos comme les comic-books. Il n’a jamais cessé de respecter cette culture, y compris en étant hyper exigeant avec. Il a contribué à lui donner une nouvelle maturité. Il vient aussi des contre-cultures des années 60-70. Le gars est une légende, son nom a un prestige dingue et il a pondu plein de trucs incontournables. C’est le seul type à avoir une BD dans la liste des plus grands romans du siècle par le New York Times et un paquet ont été adaptées en grosses productions. Pourtant, il a jamais quitté son bled, jamais trahi sa classe, jamais renié ses idées. Il s’en tape des honneurs, il se fâche avec tout le monde et il refuse de toucher les chèques des adaptations. Il préfère faire ses trucs en indé dans son coin ou dans un journal local, alors que c’est une quasi-divinité mondiale. » Donc, en gros, « ce type est une anomalie. Il est représentatif de quelque chose de rare, de précieux. Y’en a plus des comme ça, on a pété le moule, comme on dit par chez moi. »
VERS UNE RENAISSANCE POPULAIRE ?
Et d’embrayer, donc, sur l’importance du « Welfare State », ou Etat Providence anglo-saxon mis en place après la seconde guerre mondiale, dans la carrière de ce géant, qui savait ce qu’il devait à ce système qui a permis « de donner au moins quelques armes à des gamins comme lui » et qui savait également, hélas, « comment tout ça a été méthodiquement détruit, comme en France ». Or, poursuit, Benjamin, « écrire un roman, ça demande du temps, de l’huile de coude et de l’espace mental. Et c’est plus facile de s’y consacrer si t’es rentier ou que t’as papa-maman que si tu dois bosser à côté. Donc tendanciellement on aura plus de bourgeois qui écrivent, ou de classes moyennes sup avec un gros capital culturel. »
Il ajoute : « Une sécurité sociale comme l’assurance chômage, ça sert aussi à ça : libérer les gens pour qu’ils vivent, qu’ils créent, qu’ils essaient des choses, qu’ils soient pas en permanence soumis au chantage du marché. Idem pour la santé, le logement, l’alimentation, etc. Le pire c’est qu’une fois que ça marche, le marché se prive pas d’en tirer profit alors que l’investissement de base vient du collectif ! Y’a qu’à voir l’empire Harry Potter, qui vient d’un bouquin écrit lorsque JK Rowling était au chomdu. Imaginez ce qu’on pourrait faire avec tout ça au lieu d’enrichir de manière absurde celles et ceux qui se gavent dessus aujourd’hui ! » Et d’affirmer : « Le jour où on comprendra ça, je reste persuadé qu’on aura une effervescence, un genre de Renaissance mais populaire. On aura plus d’Alan Moore et moins de bouquins médiocres de petits bourgeois qui s’ennuient ou de productions purement dirigées par des études de marché. Tiens, même sur Youtube, combien y’en a qui ont lancé leur chaîne parce qu’ils étaient entre deux tafs et tout le contenu gratuit qu’ils produisent ? C’est mon cas au départ mais aussi tout un écosystème qui s’est pérennisé depuis. »
Pour terminer notre entretien avec une question à la Usul je lui demande s’il pense que la culture pop subversive parviendra un jour à dégommer l’hégémonie bourgeoise, ou si elle est vouée à se faire toujours digérer et assimiler par le capital. Sa réponse : « Les deux, mon capitaine ». Le combat pour le contrôle de la pop ne fait que commencer.
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