Les monnaies locales : une goutte de javel dans un ocean de merde
Texte outrageusement pompé et librement inspiré de l’article « Des tas de cailloux plein les poches » paru dans Le Postillon n.42
MLC : c’est quoi cette merde ?
Une monnaie locale complémentaire – ou MLC, c’est une monnaie, autrement dit des bouts de papier qui représentent une dette d’argent. Le « L » est pour locale, signifiant par là que cette monnaie n’est utilisable que sur un territoire restreint. Enfin, c’est une monnaie complémentaire. Ça veut dire qu’elle ne remet en cause ni la monnaie nationale – à laquelle elle est appartée – ni le système d’échange : un bien ou un service contre de l’argent. En clair, une MLC, ce sont des euros utilisables uniquement entre certaines personnes (des bobos urbains) sur un certain territoire.
On pourrait bêtement les confondre avec les SEL, ces système d’échanges locaux qui passent outre l’argent et la monnaie en basant l’échange sur des services directs, certains allant même jusqu’à une remise à zéro des compteurs chaque année, empêchant totalementl’accumulation de dettes et créances – et donc de capital. Au contraire, il faut un système d’une lourdeur et d’une complexité énormes pour créer et gérer une monnaie dont la différence fondamentale avec l’euro nous échappe. Non seulement cette monnaie nécessite un temps et une énergie folle, mais en plus cela coûte de l’argent.
Une monnaie pour les bourgeois des villes en manque de sens
À chaque fois le service marketing qui vous vend la monnaie locale d’une ville nous parle de lien social, d’économie solidaire, de relocalisation de l’économie, d’agriculture biologique et de sortie du système financier. Mais à vrai dire, qu’achète-t-on donc de directement produit dans une agglomération urbaine ? Très vite, la question des matières premières se pose. Il faut donc étendre le territoire. De la même manière que la campagne nourrit la ville, la campagne va servir de réservoir de recirculation de la MLC.
Une entreprise de plus
Gérer ces monnaies locales avec une équipe de bénévoles est difficile, voire impossible, il faut embaucher. La communication, l’impression de la monnaie, les salarié.es-kleenex, services civiques ou autres stagiaires à peine payé.es au nom de l’économie-sociale-et-solidaire, tout cela a un coût. Coût que les cotisations – il faut adhérer à l’association pour pouvoir utiliser cette monnaie – ne suffiront pas à couvrir. Les solutions envisagées sont le désormais classique « financement par la foule », ou l’appel aux collectivités. Nous aurons donc, en l’état, une monnaie indexée sur l’euro, plus chère et plus complexe à gérer, et qui ne survivra probablement que par les mannes publiques et l’argent des contribuables.
La dernière camelote en date pour continuer à vendre de la camelote
Certains économistes précauniseraient la multiplication de monnaies locales. Plus de diversité entraînerait à l’échelle mondiale plus de stabilité. Si une des trois ou quatre monnaies mondiales s’effondre, tout risque de s’effondrer – « tout » : comprendre le système monétaire voire financier – alors que si une petite monnaie s’effondre, cela ne se ressentira que localement. Soit en clair : les MLC comme matelas du Grand Capital. On commence à comprendre pourquoi les étudiant.es d’écoles de commerce s’intéressent à ces MLC. Du point de vue des commerçants, la MLC permettra la « fidélisation » des clients – un bel euphémisme. À la question de savoir si, dans le cas effectif d’une crise financière importante, d’une dévaluation de l’euro énorme par exemple, notre Monnaie Locale pourrait faire sécession, stopper la parité avec l’euro, et devenir un vrai outil d’autonomisation, la réponse est claire : non jamais, ce n’est pas possible car ce n’est pas légal. Une fois de plus, malgré le discours, la MLC s’avère n’être qu’un énième avatar du capital plutôt qu’un outil d’autonomisation.
Bon ça marche pas, mais c’est numérique au moins
Les innovations c’est super, et payer son billet de tram en Monnaie Locale via son smartphone, c’est super innovant. Ouais ça serait vraiment cool. À chaque fois ou presque, les monnaies locales se déclinent en paiement numérique. Une grande évolution : les coûts sont externalisés (les commerces paient les terminaux et le service), le flicage total des transactions, l’aggravation de l’exclusion de celles et ceux qui n’ont pas les moyens ou l’envie de plonger dans le meilleur des mondes numériques… Est-ce vraiment en accord avec la rengaine des monnaies locales : « Soutenir la transition énergétique et respecter l’environnement ? »
Consommer de la merde, mais LOCALE
Quant à l’autonomisation, le lien social, la relocalisation… L’un des arguments en faveur des MLC c’est que les euros « s’échappent » du territoire et finissent dans les paradis fiscaux. La MLC serait donc l’outil pour conserver les richesses sur un territoire donné. Pourtant seulement 2 à 3 % de l’argent circulant sur la planète correspond à des échanges de biens et de service : agir sur la monnaie a donc un impact très limité. Si j’achète le pain de mon voisin qui va acheter les légumes du sien, que ce soit en euro ou en MLC, quelle est la différence ? Sont-ce vraiment ces euros qui finissent dans les paradis fiscaux ?
Tout pour éviter de prendre les problèmes au sérieux
Et en quoi la monnaie devrait influer sur le comportement ? N’est-ce-pas prendre le problème à l’envers ? Au lieu de passer du temps et de l’énergie à créer un outil complexe en espérant que, par « force » cela « crée » de l’économie locale, pourquoi ne pas plutôt consacrer toute cette énergie directement à développer cette économie, concrètement ? Ce sera sympa d’avoir des pièces de monnaie locale plein les poches, mais si je ne peux même pas acheter de légumes parce que plus personne n’en cultive, je fais quoi, je mange mes billets locaux ? Pendant qu’on s’échangera gaiement nos MLC, qu’adviendra-t-il de nos euros ? Car oui, pour avoir un kopek local, je donne un euro, qui devra être conservé dans un fond de garantie : à tout moment le fric local doit pouvoir être totalement reconverti, c’est une obligation légale – on voit ici deux poids deux mesures de l’argent-dette, puisque les banques, elles, ne sont absolument pas tenues de pouvoir rendre à un moment précis l’intégralité des dépôts qui leurs sont confiés.
Extrait de l’article « Les monnaies locales, une fausse bonne idée » du 10/11/2019 sur le Blog de Médiapart
« […]si, par le mouvement de financiarisation de l’économie capitaliste depuis une trentaine d’années, la perte de sens est de plus en plus soulignée par une pseudo gauche, jamais elle n’a attaqué les fondements réels d’un tel phénomène. […] Revaloriser le local ne participe finalement qu’à augmenter la consommation et la production, telles qu’elles se font déjà dans le monde, sur un espace plus restreint. À partir de là […], le totalitarisme économique colonise toujours un peu plus les consciences. Ce n’est pas en utilisant une Monnaies Locale que l’agriculteur sort du processus de valorisation, que l’ouvrier sort de l’exploitation, que l’humain sort de la consommation. Cet élan localiste, culturel, à l’heure de la spéculation et de la financiarisation, est juste une nouvelle manière de produire de la valeur avec bonne conscience.
Il s’agit alors, pour une pratique critique et subversive, de cibler réellement et concrètement le capital dans sa totalité, et non de manquer inlassablement sa cible en se contentant de dormir sur ses deux oreilles le soir par ces pseudos-actions. Ces ennemis sont : l’État, la nation, la politique, la marchandise et le travail. Que nous reste-il dans la perspective d’une lutte anticapitaliste et donc anti souverainiste ? Le sabotage intégral de l’économie.
[…]refuser le travail, voler, faire la grève, occuper des lieux : réfléchir à des interractions non abstraites, expérimenter de nouvelles formes de vie : voilà l’horizon où il faut aller. »
–[Communiqué du collectif « J’prends pas la carte » et du « Comité Anti Monnaies Locales Autoritaires »(CAMLAut’)]
« Faîtes un vrai geste pour la transition : jetez vos CB, payez en liquide ! »
Plutôt que de créer de nouvelles machineries bureaucratiques, qui comme à leur habitude épuisent l’élan révolutionnaire et vident les portefeuilles de la solidarité prolétarienne, on peut atteindre les objectifs affichés par les monnaies locales en utilisant l’argent liquide. Plus simple à mettre en place, moins de traçabilité, plus de libertés pour les gens d’acheter ce qui leur fait plaisir (et ouais, même des clopes : on vous voit les hypocrites qui veulent imposer leurs modes de vie à celleux qui font la manche), plus d’emmerdes pour l’État et surtout, plus d’énergies pour mener des luttes qui nous rendent vraiment de l’autonomie, et participeront à abolir définitivement la Monnaie plutôt que d’en créer des avatars spectaculaires et marchands. Même votre commerçant.e préféré.e vous remerciera : iel aura le choix de déclarer ou non cet argent, et sera pas obligé.e de payer au passage une dˆme à la banque comme c’est le cas avec un terminal pour CB.
Ni chômage, ni travail salarié,
Ni monnaies, ni monnaies locales !
Le collectif « J’prends pas la carte » (septembre 2021)
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