le candidat du vide, autopsie d'un crash narratif
Quand des femmes et hommes du futur tenteront de retracer la dégringolade de l’époque macroniste, ils auront tout intérêt à se pencher sur une série de vidéos à vocation propagandesque, intitulée Le Candidat. D’un format d’une dizaine de minutes, mises en ligne chaque semaine sur YouTube de début mars à fin avril, ces huit pastilles numériques disent beaucoup du récit déconnecté que le président réélu tient à livrer sur lui-même. La mise en scène est à la fois scandaleusement vide et bourrée d’artefacts narratifs. Et ça fait pschiit.
« Moi, ils m’ont collé une étiquette de président des riches qui me fait encore du mal. » (Emmanuel Macron, Le Candidat, épisode 7)
Ça commence comme une pub pour un déo cheapos. Sur fond discret de musique pompeuse, un homme en costume bleu grimpe lestement des escaliers suivi de son chien noir, puis traverse un couloir d’un pas déterminé. Plan suivant, il est à son bureau en chemise blanche, pinçant les lèvres – l’heure est grave, il a un message à faire passer. Tandis qu’il dégoise, la caméra tressaute autour de son visage, en gros plan tremblé. Son propos : s’il ne s’est pas déclaré candidat plus tôt, c’est en raison de l’épidémie et de la guerre en Ukraine – « Une situation qui impressionne nos compatriotes ». Face au virus et à Poutine, pas le temps pour le petit et mesquin théâtre électoral. N’empêche, quelque chose a changé, assure-t-il, il est devenu « humble », répète-t-il, tellement « humble », tandis que le dispositif narratif lui-même lève les yeux au ciel en gloussant. Une petite mélodie au piano très Amélie Poulain revient tournoyer dans les oreilles, alors qu’il signe un papier d’un bleu « Emmanuel Macron », scritch scritch, puis assure avec un sourire faux que oui oui on peut l’appeler « monsieur le candidat ». Avant qu’une dizaine de secondes ne soient accordées à son équipe de campagne, quelques séquences en flash montrant leur reconnaissance – il est candidat, alléluia –, puis rideau ; à plus, les gueux.
Ce premier épisode de la série Le Candidat, fagotée en vue de faire réélire le président, est sorti le 4 mars 2022. Plus court que les suivants, 4 minutes 33, il est pourtant interminable. Sur YouTube, 399 291 personnes l’ont visionné à l’heure où ces lignes sont écrites. Il a été produit par une boîte appelée Arduina, fondée par un certain Dominique Delport qui, après avoir été directeur général de l’agence de com’ Havas, a grenouillé dans l’empire Vice Media. Ce serait, ô surprise, un proche du magnat des médias Vincent Bolloré. Dans un entretien avec le site Petit Web1, Delport explique : « Notre client est l’équipe de campagne et [c’est] le candidat qui a le final cut. » Le piteux résultat est donc sous entier contrôle de la bande à Macron. Et Delport d’ajouter qu’il y a une vingtaine de personnes impliquées dans les tournages et qu’il se revendique de « la qualité Netflix ».
Netflix, donc. Un phare surpuissant qui affole les équipes de com’ et les façonneurs d’imaginaire, posant l’objet série comme le phénomène culturel majeur de notre temps. Qui a poussé les béats Jeunes avec Macron à propulser une campagne d’affichage intitulée « Vivement qu’on signe pour cinq saisons de plus ». Qui a sans doute en partie inspiré les mises en scène photographiques grotesques du président en « chef de guerre », supplicié de stress au téléphone ou en hoodie noir/casquette/barbe mal rasée. Et dont l’esthétique anime apparemment sa photographe Soazig de la Moissonnière qui, sur son Instagram perso, déverse des tas de clichés prétendument « off », le montrant dans son quotidien (et tellement humain, morbleu).
« Je vous dis merde ! »
En matière de mise en fiction modernisée, Macron a des prédécesseurs. Barack Obama si cool, au micro comme sur un terrain de basket. Ou le président ukrainien Volodymyr Zelensky, si profondément imprégné par son passé d’acteur dans cette confusion vraie vie/série télé. Mais il ne suffit pas de se vouloir héros transcendé par le cadre narratif pour que cela fonctionne. Loin de là. Et les huit épisodes du Candidat mis en ligne jusqu’au dernier round de l’élection dégagent avant tout un immense sentiment de vide et de fausseté, puant le carton-pâte voire la campagne électorale Potemkine. Tant de passages gênants… Macron discutant en bord de Seine avec un joggeur s’entraînant pour le marathon – « Je vous dis merde ! » – avant de lâcher, la tour Eiffel dans son dos : « On est quand même le plus beau pays du monde. » Macron galopant dans des escaliers (gimmick récurrent). Macron songeur à l’arrière de sa berline, les yeux perdus sur le paysage. Macron parlant foot : « Il faut être concret et percutant, tel Basile Boli administrant cette magnifique tête dans les buts du Milan AC. » Macron demandant deux fois à Brigitte s’il doit changer de pantalon (oui)…
Très vite, l’overdose de fausse intimité se fait totale, repoussante. Les médias comme les spectateurs ne s’y sont pas trompés. Les premiers ont beaucoup évoqué l’épisode 1, avant de se désintéresser de la suite. Les seconds ont progressivement déserté YouTube, avec des chiffres de plus en plus dérisoires : Environ 175 000 vues pour le 2e opus, 68 000 pour le 5e et 47 000 pour le dernier. Peanuts, quoi, pour ce qui devait être une locomotive de la campagne et a mobilisé beaucoup de moyens et de temps.
L’ambition de l’équipe de com’ était pourtant claire : s’immiscer au plus proche de l’intimité du président-candidat, parfois à 5 cm de son visage, ou bien au plus près de ses bains-de-foule-serrages-de-mains-humains-tellement-humains. Tout ça saupoudré d’artefacts de montage et de prises de vue, ainsi que de cliffhangers claqués au sol, pour rentrer dans le cahier des charges Netflix. Mais voilà, la forme ne suffit pas. Et au vide des propositions succède cette impression d’autosatisfecit permanent, Macron commentant les prestations de Macron sans jamais se décentrer. Vertigineux.
Candidat au Loft ?
Auteur d’un bouquin qui a fait date, Storytelling – La Machine à fabriquer des histoires et formater les esprits (La Découverte, 2007), le chercheur Christian Salmon n’est pas tendre avec la mise en scène macronienne2 : « Macron a voulu redonner au pouvoir une aura de sacralité profane, de magie artificielle, une hyperréalité politique caractérisée par l’impossibilité de distinguer les contraires. Car la scène politique n’est plus régie par la dissimulation, mais par la simulation ; non plus par le secret et le calcul cynique, mais par l’exhibition et la surexposition. Triomphe de la télé-réalité sur le théâtre politique. Il n’y a rien à interpréter. »
Ce cirque médiatique flou, tordant toujours plus les limites fiction/réalité, ne semble en tout cas pas prêt de s’arranger, si l’on en croit le grand barnum dégoulinant de bleu blanc rouge à La Défense Arena le 2 avril dernier. Dans le 4e épisode du Candidat, on voit d’ailleurs Macron donner ses indications pour la soirée : « Ce que je voudrais, c’est pas une écriture de meeting. Je voudrais un truc plus dans l’effet d’un événement sportif. Un truc plus charnel. Une forme de moi qui dit merci. » Là encore, le mélange des genres et le brouillage du message sont maximum, dont il ne reste plus rien, sauf : moi.
Ce pauvre moi hypertrophié et mal joué, comme toutes les baudruches surgonflées, finira forcément par exploser dans un grand déluge de confettis avariés. Ce jour-là, il faudra opposer aux autres mauvais et dangereux acteurs en embuscade, au premier rang desquels ceux de l’extrême droite, notre propre imaginaire, aux antipodes des grossières manipulations des docteurs Folamour de la com’, gorgés de coke et d’ego.
D’ailleurs, si un producteur passe par là, on a une excellente idée de série à proposer. Ça s’appellerait Chien Rouge, le candidat du tout brûler (surtout les communicants). Un potentiel de ouf.
1 « Comment le Président déclaré candidat est devenu héros de série », Petit Web (14/03/22).
2 Dans un article intitulé « De quoi Emmanuel Macron est-il l’absence ? », Slate (15/03/22).
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