Contre le journalisme de prefecture, pour la presse libre locale
Dans notre ville, le principal organe quotidien local, Nice-Matin, déjà auparavant connu pour son militantisme pro-mairie, a récemment failli être racheté par le patron de Valeurs Actuelles… De notre côté, pour faire entendre d’autres voix, et comme la presse libre locale est un bien précieux, nous avons décidé de lancer notre propre journal : Mouais – le journal dubitatif
Et c’est du boulot. Des heures, des jours et des nuits à s’user les yeux sur la maquette, à faire les relectures, traquer les coquilles, à écrire, à s’engueuler, parfois (mais comme nous sommes une bande de copines et de copains, ça ne dure jamais bien longtemps) … Du boulot, pour obtenir ce beau bébé de 16 pages, riche d’illustrations, d’articles fouillés sur la vidéo-surveillance, les gilets jaunes, la traque des réfugié.e.s, d’un entretien exclusif avec Geneviève Legay…
Mais nous l’avons fait. Toujours guidé.e.s par cette volonté : celle d’offrir aux niçois.es (mais pas que) un journal d’information indépendant et critique, qui sorte des sentiers battus, aille gratter là où ça démange, et faire du bruit là où le silence devient pesant.
Etre, aussi, ce que tout journal devrait être : la caisse de résonance où puissent venir vibrer des centaines, des milliers de voix dissonantes. Parce qu’en chacun.e de nous, il y a un.e journaliste qui sommeille. Ecrivain.e du dimanche, chroniqueur.se occasionnel sur les réseaux sociaux, tendeur.se d’oreille, explorateur.se de rues parallèles, amoureux.se des gens, de leurs vies, de leurs rêves, de leur problèmes et joies quotidiens : tous et toutes, nous avons notre mots à dire, et ces mots, ou ces maux, comme le font déjà de nombreuses publications locales méritantes, nous voulons aider à les faire entendre.
Nous ne pouvons plus accepter que des éditorialistes hors-sol, des prétendus « experts » en roue libre, des gratte-papier ne sachant plus que recopier les éléments de langage de la communication du gouvernement, des mairies, des postes de polices, des préfectures et des multinationales, privatisent pour leur compte l’espace d’expression publique –imposant leurs intérêts et leurs lois à des hordes de prolétaires de l’info, pigistes sous-payés, qui constituent aujourd’hui, ne l’oublions pas, le gros des journalistes… Et qui, eux aussi, sont les victimes d’un système médiatique figé, enkysté dans les sphères de pouvoir.
Nous l’avions trop bien constaté lors des Gilets Jaunes, qui a vu les médias grand public à la traîne de classe populaires qu’ils ne connaissent et ne comprennent décidément pas. Et à tous et toutes, il nous arrive d’être devant la vitre d’observation, derrière le fait-divers, derrière le « journalisme de préfecture » (Schneidermann) derrière tout ça –dans la matérialité brute des faits, de l’instant, et de la subjectivité de l’instant, non filtrée par le tamis médiatique. Et nous ne reconnaissons guère tout ça dans les mots qui en sont tirés dans la presse. Parce que ce n’est pas vécu. Nous, nous ne l’aurions pas exprimé comme ça. Pas dans ce langage. Là, ce n’est que ça : des mots.
Et de simples mots, sans la vie, les vies, les rires, les pleurs et tout ça, qu’il y a toujours derrière, ça n’est pas très intéressant. Ou, en tous les cas, ça ne nous intéresse pas. C’est pourquoi nous devons en revenir aux fondamentaux : ceux d’une presse libre, locale, indépendante, et ancrée dans le quotidien des habitant.e.s des territoires. Que chaque ville, chaque village, chaque vallée, soit dotée de son journal –et y fasse entendre, comme avant 1789, ses doléances.
Alors, nous avons fait un journal : Mouais – le journal dubitatif. Avec les membre de médias locaux déjà existants (Télé Chez Moi, Pilule Rouge, Radio Chez Moi, la Marmotte déroutée…) et les ami.e.s habituelles, celles et ceux avec lesquelles nous tissons au quotidien nos luttes festives et joyeuses, des ruelles du Vieux Nice aux hauteurs de la Roya.
Pourquoi « mouais » ? Voyons donc la définition de ce terme. Mouais: expr. pop. fr. : Se dit afin d’exprimer une sorte de doute diffus face à une affirmation quelconque. Ex : « Il était bien, ce film avec Kev Adams, non ? –Mouais… » Mouais, journal dubitatif, tel le chat (noir, bien entendu) qui lui sert d’emblème, ne prend donc jamais pour argent comptant ce qu’on lui propose, pas même un savoureux bol de croquettes au saumon. A tout ce qui lui arrive aux oreilles, qu’il a grandes, curieuses et attentives, il oppose ce même « mouais » circonspect.
Exemples : « On ne peut se plaindre, la plupart des médias font quand même bien leur travail. –Mouais… » ; « Ils l’ont dit à la télé, c’est forcément vrai. –Mouais… » ; « Tous pourris, tous vendus, tous les mêmes. –Mouais… » ; « Chacun ne pense qu’à sa gueule, c’est comme ça. –Mouais… » ; « Ici, il ne se passe jamais rien. –Mouais… » ; « On ne peut rien faire pour que ça change. –Mouais… » Et, enfin : « De toute façon, tout est foutu. –Mouais… »
Roberto Bolaño : « Que l’amnésie jamais ne vienne embrasser notre bouche. Que jamais elle ne l’embrasse. Nous rêvions d’utopie, et nous nous réveillons en criant … Faire apparaître les nouvelles sensations. Subvertir la quotidienneté. OK. LACHEZ-TOUT, A NOUVEAU. LANCEZ-VOUS SUR LES CHEMINS. »
Et laissons derrière nous, s’il vous plait, Jean-Michel Apathie, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Ruquier, Yann Moix, Léa Salamé, Dominique Seux, Olivier Duhamel, Eric Brunet, Ruth Elkrief, Christophe Barbier, Nicolas Demorand, Ana Cabana, Laurent Delahousse, Jean-Pierre Pernault, Nicolas Domenach, Pascal Praud, Zemmour et Naulleau, Laurent Joffrin, Patrick Cohen, et tous les autres.
Parce qu’ils ne sont pas les médias. Ils ne sont que les porte-voix d’eux-mêmes, et de leurs maîtres.
NOUS sommes les médias.
par Macko Dràgàn
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