QUI A LE DROIT DE TUER ?
Qui a le droit de tuer dans ce pays, en toute impunité ? Les chasseurs, biberonnés aux subventions (1) et à la gnôle (mais il serait vache de notre part de les critiquer là-dessus). Qui d’autres ? Les flics, bien sûr, dopés au fascisme, (et très certainement à la gnôle). Les grandes entreprises également, accros au profit, ont le droit de tuer, en nous vendant tout type de produits légalement comme alcool et tabac par exemple, les deux premières causes de mortalité en France. Dans ces mêmes grandes entreprises qui vendent la mort, on y meurt également en nombre. On rappelle qu’il y a bien plus d’ouvriers morts par accident du travail (733 pour la seule année 2019, et même 1264 si l’on prend en compte l’activité professionnelle dans son ensemble) que de policier tués, 36 sur toute la décennie 2010-2020. Les politiques bien sûr ont le droit de tuer, de manière sans doute moins visible et moins spectaculaire que les susnommés. Mais très certainement de manière plus massive par leurs (in)actions criminelles climatiques. Avec une dernière occurrence, qui serait drôle si elle n’était pas semeuse de mort, signée Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, déclarant en conférence de presse le 14 septembre sur la situation énergétique, qu’elle a le pouvoir « dans des moments de tensions électriques de commander l’extinction de tous les panneaux publicitaires ». On ne saurait l’y enjoindre par des mots doux.
Il y a donc des morts acceptables, des morts pour le bien de tous, des morts traditionnels, des morts que nous pleurons pas ou peu, et d’autres qu’il faut absolument pleurer. Que tout cela s’écrit dans la loi, et que ce n’est pas nous qui l’écrivons. Par ailleurs, on ne cessera jamais de rappeler aux ignares qui citent Max Weber en permanence pour justifier les violences des dominants et les exactions policières que, la phrase exacte tentant d’expliquer ce qui constitue un État, c’est le fait que ce dernier « revendique pour son propre compte et avec succès le monopole de la violence physique légitime » (2). Et celui-ci semble revendiquer de plus en plus… Une montée en autoritarisme de l’État que l’on peut expliquer par la perte, souhaitée, de centralité dans l’organisation des rapports sociaux. Si l’État n’a plus de pouvoir et ne veut plus en avoir au profit du marché, que demeure-t-il pour demeurer ? La matraque et le flingue.
Puisqu’il en va ni plus ni moins de notre survie, on se pose ces sempiternelles questions dans le dossier central : l’anéantissement du capitalisme peut-il se faire par la violence ? Considère-t-on comme violence l’auto-défense contre un système qui use de violence pour se maintenir et se développer ? Et surtout qu’est-ce que la violence ? Quelle représentation culturelle de la violence ? Une violence légitime est-elle violence ? Les flics sont-ils tous des bâtards ? Un refus d’obtempérer à un contrôle routier peut-il conduire à la morgue ? Mal regarder un policier est-il passible de mort ? Bien des récurrences que nous allons tenter de creuser à nouveau dans ce numéro, figées dans des rapports de pouvoir inchangés depuis quelques siècles.
Alors face à cette violence institutionnelle, mère de toute violence, comment se défend-on ? Nous, habitants des quartiers populaires, zadistes, teufeurs, sans-abris, livreurs à scooter, joggeurs du dimanche, animaux de la forêt, et peut-être bientôt boucheurs de trous de golfs, saboteurs d’antennes-relais et briseurs de vitrines, à la merci des balles policières… et des chasseurs (3). Une chose est certaine : nous ne nous laisserons pas crever par la bourgeoisie, qui, et c’est logique, défendra jusqu’à son dernier souffle ses privilèges et son pouvoir. Quitte à emporter le reste de l’humanité avec elle. La violence, ce n’est pas nous ; on se défend tout au plus, tout au mieux. Peut-être faudrait-il, nous aussi, que nous concourions à notre part de violence légitime.
Notes
(1) Passées de 27 000 à 6 millions d’euros par an sous le dernier quinquennat.
(2) Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919
(3) Pour l’année 2022, on recense neuf personnes tuées après un refus d’obtempérer lors d’un contrôle de police, la plupart du temps routier. Concernant la chasse, pour la saison 2019-2020, on dénombre onze tirs mortels de chasseurs.
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